L’amour et la haine de la nourriture

Cupcakes avec une aile d'ange et une aile de diable étant la photo de couverture du livre l'amour et la haine de la nourriture de GIorgio nardone

Auteur : Giorgio Nardone
Date de publication : 2017
Editeur : Enrick B. Editions

L’auteur

Giorgio Nardone est un psychothérapeute italien, représentant du Mental Research Institute. Il est également un représentant du courant interactionniste et stratégique, lui-même issu de la fameuse école de Palo Alto. Il a été formé par Paul Watzlawick. Ses compétences et son travail sont de renommée internationale, même s’il reste peu connu en France. Il a particulièrement travaillé sur les problématiques obsessionnelles, mais également sur les troubles alimentaires.
Son approche théorique et technique, à l’instar de Watzlawick, est très intéressante et relativement surprenante par rapport à l’approche traditionnelle française.

Résumé et analyse

Le livre est un ouvrage présentant le référentiel théorique et épistémologique de l’interactionnisme et de la thérapie brève, suivi par une définition des troubles alimentaires majeurs (l’anorexie, boulimie et la proposition de considérer les vomissements comme un syndrome à part entière). La suite du livre propose des cas cliniques de chacune des pathologies et la technique/prise en charge proposée par l’auteur.

Si le titre est accrocheur et peut paraître un peu racoleur, ne nous y trompons pas, la base théorique et épistémologique de l’auteur est particulièrement solide. Elle n’est que peu développée dans ce livre, qui se veut accessible et relativement vulgarisateur. Cependant, les lecteurs qui voudraient en apprendre plus peuvent s’intéresser aux ouvrages Watzlawick, notamment « Une logique de la communication ». Pour autant, quelques mots sur le référentiel proposé par l’auteur.

Interactionnisme et thérapie brève

L’auteur s’appuie sur le référentiel interactionniste issu du courant systémique. Sans rentrer dans le détail, soulignons cependant que l’originalité de cette approche est de se centrer sur le processus, et non pas de construire une théorie causale explicative a priori.
Cet abord est relativement surprenant, puisque la psychanalyse et le cognitivisme, les deux courants majeurs en France, créent plutôt une théorie qui met en lumière une explication du trouble, en se basant sur certains mécanismes défaillants. L’auteur regrette ce type d’approche :

« Il est fréquent de constater que c’est le problème qui doit s’adapter à la solution et non à l’inverse comme cela semblerait logique. A l’évidence une telle approche conduit à la mise au point de techniques thérapeutiques qui pour leur grande majorité respectent la théorie du modèle dont elles sont originaires et non les caractéristiques et nécessités du trouble à traiter. »

G. Nardone

Ainsi, plus qu’expliquer le sens ou la genèse du trouble alimentaire, l’auteur propose de se concentrer sur les processus. Citons-le une fois encore :

« Disons-le autrement, il ne s’agit pas de se préoccuper de la formation d’un problème, mais de sa persistance. »

G. Nardone

Perspective thérapeutique

Un peu plus concrètement, l’auteur propose d’aborder frontalement le trouble alimentaire. En effet, pour lui, il s’agit de trouver un moyen rapide de pouvoir identifier et ainsi mettre en échec le processus qui entretient le trouble. Une fois ce processus modifié et le trouble « débloquer » , les composantes émotionnelles et relationnelles pourront être travaillés.

D’un côté, c’est un véritable positionnement stratégique que promeut l’auteur. D’ailleurs, il s’inscrit parle lui-même de stratégie et fait parfois usage de métaphores liées au duel.

La manière d’aborder le trouble et la communication entre la famille et le patient ou entre le thérapeute est le patient est au coeur de la proposition de Nardone. Pour l’auteur, de nombreuses techniques thérapeutiques se construisent sur une base rationnelle, or la plupart des troubles alimentaires ne sont pas rationnels. Ainsi, il ne peut y avoir de résultats positifs, la communication ne se faisant pas dans la même langue, si l’on peut dire. Globalement, il en est de même pour les proches du patient. Ils veulent aider, mais la plupart de leurs réactions sont inadaptées et contre-productives :

« Pour les proches le comportement de leur enfant est aussi insensé que bouleversant. Leurs tentatives d’intervention apparaissent vraiment raisonnables, mais elles sont inadaptées à l’irrationalité du problème. »

G. Nardone

Enfin, nous pourrions résumer la technique de Nardone, basée sur plusieurs procédés de communication par sa déclaration :

« La manoeuvre consiste en un délicat exercice de persuasion par l’intermédiaire duquel on conduit le patient à avoir peur de ce que jusqu’à maintenant il a dû utiliser précisément pour se protéger de la peur de perdre le contrôle. »

G. Nardone

Quelques situations cliniques

L’auteur va ainsi décrire quelques situations cliniques en décrivant son positionnement et la technique utilisée. Précisons tout d’abord que son objectif est de s’attaquer directement au trouble pour tenter de le modifier. Plus précisément, l’auteur propose à chaque fois quelque chose de surprenant, il crée la surprise auprès du patient ou de ses proches. Plus que de tenter de supprimer le symptôme de manière pur et simple, il s’agit plutôt de détourner l’attention, de modifier l’investissement du patient vers autre chose. La surprise crée une brèche qui permet au thérapeute d’aller sur un autre plan qu’uniquement le plan du symptôme.

Une autre caractéristique se dessine, Nardone est franc, très franc, quitte à perturber ses patients. Dans le même sens que proposé plus haut, cela entretient la surprise.

Il explique ainsi comment, dans le cas d’une boulimie, il demande à une patiente de contrôler le fait de manger davantage et pas de se limiter. Dans le cas d’une anorexie, il invite la mère de la patiente de conforter son enfant et lui disant qu’elle souhaite l’aider dans son anorexie et ainsi lui préparer des repas avec un mot « à vomir pour aujourd’hui ».

Tous les cas cliniques sont dans une certaine mesure déroutants, même pour le thérapeute.

Notre réflexion

La proposition de Nardone est particulièrement intéressante. D’une part, la base théorique et épistémologique est sérieuse et justifie ce type de positionnement. De plus, il y a eu une vraie volonté d’évaluation de ce type de techniques. Elles se présentent comme efficaces.
D’autre part, il permet de sortir du paradigme de la causalité linéaire et d’une explication théorique d’un trouble, ce qui peut se révéler parfois contre-productif dans une prise en charge.

Créer la surprise et proposer des petites techniques originales aux patients peut permettre une autre relation thérapeutique et pour eux, un autre abord de leur situation.

Dosons néanmoins, il est nécessaire de bien tenir compte de chaque situation et de chaque patient. Les propositions de Nardone peuvent parfois être trop directes ou difficiles à entendre de notre avis et ainsi être plus contre-productives qu’aidantes.